Mes attentes face à New York étaient au moins aussi hautes que les plus grands building de Manhattan. Ceci explique sans doute pourquoi j’en suis revenu avec une impression en demi teinte. Mon enthousiasme s’est vite trouvé tempéré par le sentiment d’être enfermé, oppressé, presque pris au piège. Est-ce que ça venait des grattes-ciels à côté desquels je me sentais tout petit ? De la foule qui se pressait sur les trottoirs de la cinquième avenue ? A moins que ça n’ait été le fait du rythme effréné de la vie new yorkaise ?
New York n’a en tout cas pas réussi à me séduire dans sa globalité. Je fais cette dernière précision parce qu’à contrario, certaines parties de la ville m’ont beaucoup plu, prises indépendamment. Se perdre une matinée dans Central Park, prendre un petit-déjeuner dans un dinner typique, découvrir des stations de métro aux faux airs post-industriel… New York est une cité immense, complexe, il est donc normal qu’elle soit compliquée à aimer.
Passer d’un quartier à l’autre donne parfois l’impression de changer radicalement de ville, voire de pays. C’est particulièrement criant lorsqu’on parcourt les rues qui traversent le Lower East Side, Chinatown et Little Italy (des rues qui gardent d’ailleurs le même nom malgré le changement étonnant de voisinage). Durant notre séjour, j’avais avec Barry, mon compagnon de voyage favori, prévu de consacrer une demi-journée à la visite de ces quartiers.
Les choses se passant rarement comme prévu (note au voyageur : en soi, c’est d’ailleurs une bonne raison de voyager), nous avons pris du retard sur notre programme et l’après-midi était déjà bien avancée lorsque nous sommes sortis d’une station de métro. Celui qui s’est le premier offert à nos yeux fut le quartier de la petite Italie, avec ses décorations lumineuses nous souhaitant la bienvenue. Ma seule expérience d’un quartier italien venait de celui de Montréal et, en comparaison, celui de New York est bien plus petit, plus ramassé, plus compact.
Je vous ai déjà parlé du quartier chinois de Vancouver. Celui de New York est encore plus grand (le premier en Amérique du Nord !) et bien plus animé. Comme tout dans New York, celui-ci fait dans la démesure. Les immeubles prennent soudainement des formes de pagodes, les enseignes commerciales sont écrites en chinois (même celle de McDonald’s) et les personnes que vous croisez dans la rue ne parlent plus anglais mais mandarin.
Le choc culturel passé, que reste-il ? Les rues ne sont pas spécialement propres, elles sont très fréquentées et il faut parfois jouer des coudes pour avancer (note au voyageur : comme partout ailleurs à New York, attention aux pickpockets), les odeurs sont souvent agréables, grâce aux boutiques d’épices notamment, parfois un peu moins, et pas seulement à cause des poissonneries. Le quartier n’en est pas moins vivant, avec tous ses extrêmes, et pour un peu, on se croirait vraiment de l’autre côté du globe.
Après quelques rues, nous faisons demi-tour pour revenir sur nos pas. Pour ceux qui en doutaient encore, Chinatown est bien plus grand que Little Italy. Ces deux quartiers sont en fait entrés en compétition au fil du temps. Little Italy était par le passé un quartier majeur, fortement peuplé, mais sa population s’est justement éparpillée dans New York, dans Brooklyn par exemple. D’un autre côté, la population asiatique ne fait que croitre depuis quelques années et prend logiquement sa place dans ce qui était autrefois des immeubles italiens, à présent désertés par leur communauté.
Est-ce que Chinatown va complètement éclipser la minuscule Little Italy ? Je ne le crois pas. Celle-ci reste le cœur de la communauté italienne de New York. Qui plus est, l’alliance des deux quartiers attire son lot de touristes, qui seraient peut-être moins nombreux à s’aventurer dans un « simple » quartier chinois. Ceci explique manifestement pourquoi certains commerces de Little Italy appartiennent actuellement à des Chinois sans que ceux-ci désirent changer de décors. Il est dans leur propre intérêt de conserver le folklore existant.
Je referme la parenthèse alors que Barry et moi retrouvons les quelques pâtés de maisons pittoresques entre Broome Street et Canal Street. Mulberry Street est la plus remarquable, avec ses restaurants, ses immeubles aux couleurs du drapeau italien et même ses vieilles voitures tout droit sorties des films de mafia des années 70. Le coin me fait immédiatement penser à la rue des Bouchers, à Bruxelles. Vous connaissez ? C’est une rue pleine de restaurants et à la porte de chacun d’entre eux, un serveur essaie de vous convaincre d’entrer dans son antre. Little Italy, c’est pareil. Mais ça tombe bien, on est aussi venu là pour manger une pizza.
Je vous épargne le nom du restaurant ; la pizza était bonne et c’était tout ce que j’en attendais. Les meilleures de New York ne sont de toute façon pas dans Little Italy paraît-il. Peu importe. Nous ressortons de là au crépuscule, les lumières, les lanternes et les enseignes s’allumant les unes après les autres autour de nous. Nous laissons Little Italy pour replonger dans la Chine moderne.
Dans une ambiance électrique digne des métropoles asiatiques, les couleurs de Chinatown ressortent encore plus une fois la nuit tombée. Ses senteurs et vapeurs parfumées, ses vitrines où s’étalent des canards laqués, ses petits temples parfois discrètement situés en étage… Nous errons dans Canal Street, réputée pour être le royaume de la contrefaçon. Il semble que l’on y trouve aussi tous les souvenirs de type I Love NY, bien moins chers qu’ailleurs dans la ville.
Nous rencontrons un vendeur ambulant qui semble effectivement avoir toutes les grandes marques de montres, parfums ou sacs… Mais dans ce paradis de la contrefaçon, nous cherchons juste un souvenir typique.
Barry m’emmène dans une ruelle sombre un brin inquiétante, qui le devient encore plus au fur et à mesure qu’il m’en raconte l’histoire. Nous sommes dans Doyers Street, une rue qui fut le théâtre d’un nombre remarquable de fusillades entre les différentes triades de Chinatown, entre 1870 et 1930. Surnommée « Bloody Angle », Doyers était idéale pour les combats de rue en raison de son angle, qui permettaient aux gangs de monter des embuscades les uns aux autres. A l’endroit où Doyers Street s’incurve brutalement, il y aura eu à l’époque plus de meurtres commis que partout ailleurs aux États-Unis.
En plein jour, j’imagine que la rue n’est pas si intimidante. Elle doit ressembler à s’y méprendre à d’autres ruelles de Chinatown, mis à part son angle. La nuit, on se replonge sans mal dans l’ambiance. On sent quasiment sous nos pieds les tunnels qui reliaient les bâtiments, permettant aux criminels de s’échapper ou de passer inaperçus. Certains de ces tunnels existent encore et y descendre se fait librement, même si c’est sans grand intérêt. Il s’agit aujourd’hui de simples passages commerciaux, dont les enseignes regroupent des dentistes, des avocats et autres herboristes chinois.
Je repartirais de là avec ce que je cherchais, un souvenir unique en forme de morceau d’Histoire.
Peut-être préparez-vous votre propre voyage à New York en cherchant à savoir si, oui ou non, la visite de ces quartiers vaut la chandelle. Tout dépend de la philosophie avec laquelle vous partez. En fait, la visite de ces quartiers pourraient relever de l’anecdote, voire de la déception. Tant Chinatown que Little Italy sont des lieux de vie avant d’être des lieux touristiques, même si c’est de moins en moins vrai pour la partie italienne. Il n’y a donc pas quantité de choses à visiter et on peut vite se retrouver à tourner en rond dans des rues à première vue sans intérêt.
Mais l’intérêt est bien là pour ceux qui veulent s’imprégner d’une atmosphère, observer le mélange de deux cultures bien différentes ou pour au moins saisir le moment par le biais de quelques photos.