Avant d’aller à Prague, j’en avais une image un peu floue, presque onirique. Celle d’une ville mystérieuse, aux rues désertes, plongée dans la brume et l’obscurité. Peut-être était-ce dû à Mission:Impossible (une bonne partie du premier film avec Tom Cruise y prend place) ou peut-être était-ce simplement l’image romantique véhiculée par l’office de tourisme de la capitale de la République Tchèque… Toujours est-il qu’une fois sur place, je me suis rendu compte qu’en plein jour, la ville était l’exact opposé de ce que j’avais imaginé : très fréquentée, colorée et pleine de vie. Il a fallu attendre la tombée de la nuit pour retrouver une atmosphère à la hauteur de mes rêves hollywoodiens…
Choisir d’aller à Prague en hiver, c’est choisir de voir la ville à la lueur du jour durant un temps limité. Le soleil se lève tard et se couche tôt, il n’est pas rare qu’il fasse noir dès 16h30. C’est l’idéal pour découvrir la ville au crépuscule, ce que les photographes appellent l’heure dorée, lorsque le soleil rase doucement le sol. Un moment qui ne dure malheureusement pas bien longtemps et la nuit s’abat rapidement sur Prague. C’est ainsi que tout a commencé pour moi. Alors que je sortais tranquillement d’une crêperie au beau milieu de l’après-midi (on ne se refait pas), j’avais encore à mon programme de grimper au sommet de la colline de Petřín, qui surplombe le quartier de Malá Strana.
Où manger une crêpe à Prague ?
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Dans le Petřín
Une halte dans le parc Kampa, près du Musée d’art contemporain, et une autre au mur John Lennon, ce mémorial incongru devenu symbole de paix et de liberté, m’ont fait arriver au pied de la montagne alors que l’après-midi était déjà bien entamée. Du haut de ses 300 mètres et des poussières (mais seulement 130 mètres au dessus de la Vltava, la rivière qui parcourt Prague), la colline de Petřín n’impressionne pas beaucoup de prime abord. Si, en été, elle est recouverte d’arbres et de jardins, elle fait plutôt grise mine en hiver. Coup de chance, il avait neigé la veille sur Prague et la colline a donc revêtu un blanc manteau.
Pour atteindre les hauts de Petřín, rien de bien sorcier. Un funiculaire assure la montée (et la descente) des curieux pour le prix d’un ticket de transport régulier, juste en face de l’arrêt de tramway Újezd. Un funiculaire âgé de plus de 125 ans, excusez du peu ! Sauf que, quand j’arrive sur place, une file d’une trentaine de personnes attends à l’extérieur de la station du funiculaire. Comme depuis le début de mon séjour, il fait un froid glacial à Prague et je n’ai pas vraiment envie de d’attendre en piétinant pour me réchauffer. J’échange un regard avec la personne qui m’accompagne – pour garder son anonymat, je vous invite à imaginer Sylvester Stallone, période Cliffhanger. Je vois bien à la grimace qui barre son visage que ce que je vais lui proposer ne va pas le ravir… et si on montait à pied ?
Un sentier est clairement tracé dans la neige et monte sur le flanc de la colline en pente douce, faisant moult tours et détours. Trop tortueux pour nous. Décidant de l’ignorer, nous prenons un chemin de traverse en grimpant en ligne droite à travers les plaines enneigées du parc, en nous y enfonçant jusqu’aux chevilles. Arrivés à la moitié de la Montagne, à bout de souffle, nous revenons finalement sur les sentiers, décidément moins abrupts. Je regarde autour de moi, le soleil continuant de décliner à l’horizon. A part une ou deux silhouettes qui errent comme nous sur la colline, il n’y a pas grand monde. Et ça fait un bien fou ! Depuis notre arrivée à Prague, du monde, il y en a eu partout. Il a fallu faire face à la foule à l’entrée du château de Prague ou pour accéder au vieux Cimetière Juif, et même devant le mur John Lennon, à peine une demi-heure plus tôt, il n’était pas évident de prendre une photo sans qu’un autre touriste vienne jouer les trouble-fêtes. Ici, au milieu de notre folle ascension, j’ai l’impression d’être seul à Prague et de dominer la ville. C’est loin d’être anodin.
Je cherche un peu mon chemin et parvient à mon premier obstacle, le Mur de la Faim. Érigé au 14e siècle pour faire face à d’éventuelles attaques par l’Ouest, cette fortification doit son nom aux famines qui ont marqués l’époque de sa construction. Après avoir trouvé une entrée dans cette imposante muraille, j’aperçois enfin ma destination : la tour de de Petřín. Le soir a pris ses quartier et, avec lui, un voile de brume a recouvert le sommet de la colline, mais heureusement, à la nuit tombée, la tour s’illumine de bleu et de rouge. Je me rapproche lentement de sa silhouette et il m’est impossible de ne pas la comparer à la Tour Eiffel, dont elle est ouvertement inspirée. D’ailleurs, si on mesure son altitude à celle de la Tour Eiffel à partir du niveau de la mer, elles font la même taille.
Je m’engage à l’intérieur, mon but étant bien sûr de monter tout en haut pour profiter du panorama sur Prague, en me disant que même dans la pénombre, il doit valoir le détour. Mais la préposé à la billetterie me ramène bien vite sur terre. La brume monte tant et si bien qu’il est inutile de grimper les 299 marches de la tour. La visibilité serait nulle… Il est trop tard pour rendre visite aux autres attractions de la colline de Petřín, telle que son monastère ou son labyrinthe des glaces (qui serait néanmoins une bonne activité à faire avec des enfants). Si vous venez à Prague en hiver, je vous conseille donc de tenter Petřín plutôt en début de journée, vous devriez éviter ces mésaventures.
Je propose à Sylvester de redescendre en ville pour profiter pleinement de l’ambiance que la nuit et la brume doivent procurer à Prague. D’un grognement, il me signale qu’il ne sera pas question de redescendre à pied et que nous allons cette fois opter pour le funiculaire. S’il y a moins de monde qu’en bas, il faut tout de même patienter quelques minutes, mais cette fois à l’intérieur de la station.
Dans la vieille ville
A notre descente, nous prenons la direction du vieux Prague. Il nous faut retraverser la Vltava et le chemin le plus court semble être de passer par le Pont Charles. Si ce dernier est majestueux à toute heure du jour, il prend encore une autre dimension une fois la nuit tombée, avec sa trentaine de statues qui nous épient dans le noir, témoins muets du temps qui passe. Leurs ombres immobiles jurent avec la marée humaine qui peuple encore le Pont Charles. Car même si l’obscurité ambiante nous l’a fait oublier, ce n’est encore que le début de soirée et les touristes ne sont pas encore rentrés se réfugier au chaud. Décidément, la colline de Petřín aura bel et bien était mon seul moment de solitude à Prague.
C’est au milieu du pont Charles que je prends vraiment la mesure de ce qu’apporte la nuit à Prague. Les tours qui se dressent de par et d’autre du pont sortent de l’obscurité tel deux géants de pierre. Là-haut, on aperçoit le château de Prague qui brille de mille feux sous les nuages. On aperçoit même les lueurs de la tour de Petřín au loin. L’éclairage public mets parfaitement en valeur l’architecture moyenâgeuse et on se laisse sans mal emporter à travers les siècles… jusqu’à ce que quelqu’un prenne un selfie et vous ramène à la dure réalité.
De retour sur la place de la vieille ville, tout est illuminé. Le gigantesque sapin qui trône au milieu du marché de noël bien sûr, mais également la fameuse horloge astronomique ou encore l’église Notre-Dame de Týn. Je ne prends aucun risque en disant que la place vaut d’y passer deux fois, la première en journée et la seconde en soirée, pour en découvrir les deux aspects. Mais il se fait tard et un gargouillement retentissant émane du ventre de Sylvester. Pas la peine d’y aller par quatre chemins, notre promenade lui a donné faim. Plutôt que d’entrer dans un restaurant, je décide de prendre la direction d’un des cafés de Prague. Les cafés sont une tradition bien ancrées où il fait bon boire une boisson chaude (idéal en une froide nuit d’hiver) ou manger une pâtisserie. On peut parfois même s’y restaurer de manière plus conséquente, mais toujours en toute simplicité.
Mon choix se porte sur la Maison de la Vierge Noire, qui abrite le Grand Café Orient. Je le confonds d’abord avec le restaurant qui se trouve au rez-de-chaussé, avant de comprendre que le café se situe à l’étage, permettant de surplomber les rues avoisinantes si on trouve une table près des fenêtres. Sinon, on peut tout simplement regarder l’intérieur du café, dont le décor vaut le coup d’œil. Ses lignes s’inscrivent tout droit dans le mouvement cubiste tchèque, fier représentant de l’avant-garde pragoise. On trouve de nombreux autres cafés à Prague, du célèbre Café Savoy à celui de la Maison municipale (avec son fabuleux chariot à gâteaux qui tournent sans cesse dans la salle… impossible de ne pas se laisser tenter !).
Grand Café Orient – Dům U Černé Matky Boží (The House of the Black Madonna) Ovocný trh 19, 110 00 Praha 1 |
En sortant, nous retournons vers l’hôtel en faisant de multiples arrêts en cours de route. Il faut dire qu’il fait bon traîner les pieds dans le Prague nocturne, chaque bâtiment semblant sortir de l’ordinaire. La moindre synagogue croisée fait lever les yeux au ciel et la place Venceslas, dominée par la statue du Saint Patron du pays, semble encore résonner de la clameurs des révoltes d’antan. Je fais remarquer avec amusement à Sylvester que la seule chose qui manquait à notre promenade nocturne dans les hauteurs puis dans les rues de Prague pour correspondre à l’image d’épinal que j’en avais, c’était un espion ou deux. En guise de réponse, il affiche une simple moue de dédain. Il est vrai que la discrétion et la finesse n’ont jamais été son fort.